Les membres de ce corps de métier étaient dits "francs", c'est-à-dire libres. Ils travaillaient là où les grandes constructions les appelaient, de royaume en royaume. Ils avaient donc l'habitude de comparer les lois et les coutumes des diverses régions d'Europe qu'ils traversaient. Ils développaient une plus grande tolérance que des ouvriers sédentaires et disposaient d'un réseau de solidarité et d'entraide. Par exemple, lors des guerres de religion, les franc-maçons ont aidé beaucoup de gens poursuivis par l'Église ou les Rois: alchimistes, cabalistes, juifs, protestants... Lorsque ces corps de métier commencèrent à péricliter, lors du déclin des grands travaux architecturaux, les franc-maçons commencèrent à admettre, au sein de leurs loges, des hommes qui, sans être du métier, partageait le même idéal d'entraide et d'amour du travail bien fait.. On les appelait "franc-maçons acceptés". C'est en Angleterre que certains d'entre-eux eurent l'idée, pour lutter contre le libertinage et la dissipation des moeurs, de transformer la franc-maçonnerie opérative en société qui travailleraient non plus à bâtir des temples et des édifices de pierre, mais à édifier une société meilleure. Ces francs-maçons sont appelés "spéculatifs", par opposition aux "opératifs" de métier. C'est là que naquit la franc-maçonnerie moderne. Le 24 juin 1717, quatre loges de Londres se réunirent et fondèrent une "Grande loge", qui plus tard sera appelée "Loge mère". On y admettait tout homme "libre et de bonnes moeurs". Par libre, il fallait entendre à l'époque tout homme qui pouvait disposer de ses droits civils et cela excluait les esclaves, les serfs, les handicapés et les femmes, qui étaient encore sous la tutelle des hommes. Sa première constitution, écrite par le pasteur Anderson, en 1723, entendait par "homme de bonnes moeurs" quelqu'un qui croyait en cette "religion naturelle sur laquelle tous les hommes sont d'accord" - notion d'un déisme tolérant- et qui respectait les lois religieuses et civiles de sont pays. La franc-maçonnerie moderne connut un vif succès et proliféra rapidement. À la fin du XVIIIe siècle, le mouvement était répandu dans tous les pays qui avaient un contact colonial ou commercial avec les pays européens. Des échanges privilégiés d'idées avaient lieu entre les franc-maçons voyageant d'un continent à l'autre. À l'intérieur des régiments militaires, se créaient également des loges. Les loges militaires recrutaient des civils qui perpétuaient les coutumes maçonniques une fois les régiments déplacés. C'est ainsi que plusieurs loges furent fondées dans les Amériques. Le sort de la franc-maçonnerie en Nouvelle France puis au Canada fut tributaire du sort des régiments. À des loges françaises, installées à Québec dès 1727, succédèrent des loges anglaises, vers 1760. Déjà, les anglais avaient installé des loges sur les côtes atlantiques des futurs États-Unis, vers 1730, et c'est ainsi que sur toute la partie "anglo-saxonne" du continent nord-américain se maintint une unité de la franc-maçonnerie. Le sort de la franc-maçonnerie dans les pays protestants et dans les pays catholiques ne fut pas le même. En effet l'Église catholique s'inquiéta très rapidement de ces assemblées qu'elle n'autorisait pas, et, en France, se posa dès le XVIIIe siècle la question du droit de réunion, qui était accordé par l'Église. Les franc-maçons ne possédaient aucun de ces statuts et bien qu'au XVIIIe siècle la franc-maçonnerie fut essentiellement chrétienne et que beaucoup d'homme d'église en faisaient partie, le Pape ne voyait pas d'un bon oeil cette société qui pratiquait des rites et discutait de questions qui lui échappaient. En 1738, le Pape Clément XII voulu excommunier les franc-maçons et ceux qui les fréquentaient. Cette ordonnance fut appliquée en Espagne et au Portugal et dans leurs colonies respectives. La franc-maçonnerie se développa donc en toute liberté dans les pays non catholiques, jouissant même d'une considération particulière, alors que dans les pays catholiques, elle dut vivre sur la corde raide. Cela n'empêcha pas une solidarité à toute épreuve entre franc-maçons de différents pays. Par exemple, lors de l'indépendance des treize états de l'Union, ils allèrent chercher le concours des Français et obtinrent l'appui du régiment de La Fayette, qui était franc-maçon, comme l'étaient Benjamin Franklin et Georges Washington. Cette solidarité entre maçons se manifesta aussi lors des mouvements d'indépendance des pays d'Amérique latine (Bolivar et San Martin appartenaient à la franc-maçonnerie) et lors de la grande lutte pour l'abolition de l'esclavage. En 1738, les nouvelles Constitutions D'Anderson précisèrent que les francs-maçons devaient croire en un Dieu personnel et non plus en un vague principe créateur. Le but était évidemment d'éviter la présence grandissante des athées. En 1877, le Grand Orient de France renonça, dans ses constitutions, à l'article faisant obligation à ses membres de croire en Dieu. Cette mesure fut très mal reçue par la Loge Mère d'Angleterre qui décida de ne pas reconnaître pour francs-maçons les membres qui ne respectaient pas cet article. On assiste dès lors à la naissance d'une maçonnerie "libérale". |